propos

Métamorphoses.
    Métamorphoses, c’est peut-être le mot qui vient le plus vite à l’esprit quand on considère sur la durée le travail de Pierre Mounier ; métamorphose, au sens où la forme se renouvelle sans cesse, s’invente et se libère d’elle-même, pour mieux dissimuler une structure de base intangible, une matrice unique qui projette dans l’espace ces variations d’objets, ces œuvres qui explorent des visions toujours différentes d’un même principe fondateur.    Pierre Mounier est d’abord un peintre, formé aux techniques traditionnelles aux Beaux-Arts, où il étudie également la morphologie, l’histoire de l’Art ; et pendant de nombreuses années, c’est avant tout la peinture qui l’occupe, le travail de la matière que l’on maîtrise pour lui faire dire le plus intime de sa volonté d’expression. Mais cette matière lui semble petit à petit confiner son travail à une problématique unique, presque univoque, et il éprouve progressivement le besoin d’emprunter d’autres chemins pour élargir le champ d’expression de son imaginaire.

Tout d’abord, presque classiquement, la sculpture, principalement en terre ; des formes modelées, des rondeurs qui évoquent des anatomies imaginaires ; des matières grenues, presque poreuses, qui transmutent la sensualité de ces courbes, capturent la lumière dans une permanente diversité, et les donnent une sorte de mouvement qui les rend dynamiques et mouvantes.

Puis, progressivement, de nouveaux matériaux, ou plutôt de nouvelles pratiquent, interviennent. Des installations, par exemple à base de pneus de camions, gonflés, empilés, comme des cathédrales de chair en proie au tumulte de forces qui les dépassent ; ils deviennent l’expression d’une tension presque titanesque, d’une violence encore au repos dont le déchaînement imminent est imprévisible, et ils nous renvoient à notre précarité face à la démesure. Ils nous renvoient aussi, par la banalité du matériau industriel employé, à une certaine indifférence aux critères classiques de l’art « noble », à l’idée que la vie comporte des trivialités, à côté de ses élégances, et que, quel que soit son aspect, elle pénètre abruptement le champ de l’art.

De ces formes titanesques, on passe à une autre version du jeu avec les éléments, dans de grandes installations utilisant des voiles légers, fortement colorés, qui sont accrochés en pleine air, et jouent avec les forces ambiantes, le vent, le soleil, les changements de lumière. Elles se transforment, évoluent, changent de forme et d’aspect, comme pour nous rappeler à nouveau la faiblesse de nos forces face à la puissance des éléments ; pour nous rappeler, également, combien la lumière, et la couleur qui l’exprime, est source d’énergie quand on sait s’en faire une compagne.

    Une autre modalité du travail sur la forme apparaît également dans le traitement de la photographie, qu’il s’agisse de nus, de ballons gonflés, de scènes fugitives ; photographies souvent floues, pour que le sujet disparaisse derrière l’intention, pour que le réel se réduise à une forme, et même à l’impression d’une forme. Pour qu’on ait l’impression que derrière ces structures apparentes de la réalité, c’est bien notre imaginaire, et peut-être nos songes, qui la rendent vivante.

Réalité, ou apparence, c’est aussi ce que l’on découvre dans les petites photos repeintes de taches de couleur qui masquent le sujet principal ; une figure élégante et délicate, qui disparaît derrière un jet de couleur brutalement apposé, ou derrière une forme simple, ou de style archaïque. De œuvres de petit format, mais qui rejouent la partition de l’histoire de l’art, avec des références au surréalisme, à Dada, aux arts africains, aux arts populaires. Toujours un jeu sur les formes, sur les techniques, sur les matériaux ; toujours une inscription dans l’histoire des arts, mais pour mieux s’en affranchir par la liberté avec laquelle on joue une partition sans cesse nouvelle, en mettant sur le même plan les techniques classiques et les bricolages les plus inattendus.

Au-delà de la qualité intrinsèque de ses diverses réalisations, de la puissance des peintures, de la force des installations, de l’originalité  des collages, du mystère des photographies, c’est dans ce renversement des pratiques et des hiérarchies, et dans la permanente inventivité qui le rend possible, que se situe l’originalité du travail de Pierre Mounier ; dans cette capacité à imaginer sans cesse une réponse inattendue à une nouvelle question, à aller chercher une technique aussi bien qu’une idée, un matériau aussi bien qu’une forme, pour proposer une nouvelle représentation d’une sensation, d’une émotion, pour inventer d’autres réponses à d’autres  interrogations, et d’autres manières de reprendre le problème.

La cohérence de ce travail, en apparence si divers, se construit dans la mise en œuvre de ces solutions sans cesse renouvelées; et c’est dans la diversité que se forme l’unité de cette vision du monde. Mais cette diversité lui permet d’être toujours en mouvement, et nous avec elle ; elle nous inscrit dans le flux de l’existence, et nous donne la confiance qui nous est nécessaire pour l’embrasser pleinement.

Les travaux de Pierre Mounier ne nous dispensent pas de leçon, bien sûr; mais ils nous aident, dans l’inventivité et le renouvellement de leur langage, à trouver en nous les forces dont nous avons besoin pour appréhender pleinement la dynamique de la vie, sous tous ses aspects et dans toute sa pluralité.

Olivier Amiel

 

Mon travail entre 2007 et 2016 est passé par différentes étapes
Avant 2007, j ‘étais concentré exclusivement sur la peinture.
Entre 2007 et 2012,probablement parce que mon propos se resserrait autour du corps, sont apparus différents types de matériaux qui se sont » croisés  » les uns les autres,au fur et a mesure qu’ils se présentaient à moi: le plâtre, l’argile pour la sculpture. Le caoutchouc,  le silicone, quelquefois pour eux -mêmes et leur sensualité naturelle, quelquefois mis en scène sur le corps lui même.
Le désir de garder trace de ces événements a alors amené la photo dans mon travail.
La vidéo, elle-même, est arrivée, soit pour filmer les performances dans leur déroulement, soit pour fixer la répétition inlassable de petits mouvements du corps que je ne voulais pas voir s’arrêter.
Cette véritable addiction au corps s’est d’abord exprimée par sa représentation propre (photos de nus). Puis des travaux de nature plus organique (installations, performances)  m’ont permis d’établir la relation avec mon propre corps, par ces grandes structures en chambres à air,construites en public, montrant mon corps en action, en transpiration…
Puis, l’exercice du trombone, également en ce qu’il réveille en moi un souffle puissant qui m’emmène au delà de moi même…
Si la photo et la vidéo m’ont permis d’être plus clair avec moi même dans mon désir de montrer de manière évidente la source de mon inspiration, ma peinture, elle, aborde les choses de manière différente: si le corps en reste les fondements, il s’agit plus pour moi d’exprimer une sorte de résultante des effets du corps sur ma propre personne;c’est pour moi un travail plus intime qui se situe en amont de la représentation, mais qui peut exister parce qu’il y a aussi la représentation, avec d’autres médiums.

Avec la peinture, mon addiction se manifeste par le grand nombre de peintures, par la répétition de l’acte.

Par ailleurs, l’utilisation exclusive du noir et blanc, avec, petit à petit la limitation des valeurs…me permet, grâce à l’économie des moyens, d’être plus surement en contact avec ce que j’ai à dire: j’ai juste un pot de noir, un pot de blanc, un pinceau ou juste mes mains, je suis plus fortement en face de ce que j’ai à dire.
LE DESSIN
Le dessin ne me quitte pas…
Les dessins sont partout dans mon atelier, par terre, autour de moi.
Ils sont là pour me dire ce que j’ai à faire, ils me contrôlent en permanence, parce qu’ils sont exécutés de manière très instinctive, sans intention aucune.pour cette raison, je peux leur faire confiance
Ils représentent aussi une espèce de liberté sans limite, ils n’ont pas besoin de place, d’un atelier ou d’un matériel particulier.
Mais surtout, je le redis, ils n’ont pas d’intention.

Dans mon atelier, ils jonchent le sol, s’entassent, disparaissent et réapparaissent au fil d’un simple courant d’air…

 
               Pierre Mounier